Vers la disparition de la Gendarmerie Nationale?

Publié le par Renaud Aymon

Le 30 décembre 2008, Jean Hugues Mattely, chef d’escadron de gendarmerie et chercheur au CNRS, publiait dans Rue 89, sur le blog de Laurent Mucchielli,  un article intitulé La gendarmerie enterrée, à tort, dans l'indifférence générale.

Cet article allait lui valoir les foudres de sa hiérarchie, militaire et politique, puisqu’in fine Nicolas Sarkozy décidait de le rayer des cadres de la gendarmerie par un décret de mars 2010.
Sanction manifestement disproportionnée par rapport à un supposé manquement au devoir de réserve. Ce que ne manquait pas de relever le Conseil d’Etat dans son arrêt du 12 janvier 2011 annulant le décret précédemment cité.
Cet article mettait en exergue la disparition programmée de la gendarmerie nationale, en attirant l’attention sur tous les risques liés à cette opération. D’où une interrogation légitime : s’agissait-il en l’espèce d’une réaction corporatiste, expression de la résistance au changement, ou d’un véritable cri d’alarme relatif à la fin d’un modèle de politique sécuritaire ?
Rappelons le contexte de cette controverse : la volonté affichée du Président de la République, de rapprocher la gendarmerie et la police, au nom de la rationalisation des moyens et des nécessaires économies budgétaires.
Le souci est que la gendarmerie et la police n’avaient pas la même histoire, le même statut, la même doctrine et le même rôle.
Rappelons que la gendarmerie, héritière de la Maréchaussée, est née en 1791 (La police Nationale a pour sa part été créée par Vichy par la loi du 23 avril 1941).
 Elle est alors chargée d’assurer l’ordre et l’exécution des lois et se voit rattachée au Ministère de la Défense en raison de ses missions de prévôté, c'est-à-dire de police militaire. La France en guerre voyait en effet se déplacer de nombreuses troupes, pour lesquelles il était nécessaire d’assurer le maintien de l’ordre public en leur sein,  ainsi que dans les contrées qu’elles traversaient.
La gendarmerie va donc se déployer sur l’ensemble du territoire de la République, en en assurant un maillage étroit. Comme le précise Jean Hugues Mattely dans son article, « En réalité, de par ses missions, son maillage territorial dense et sa conception d'une « surveillance générale » privilégiant un contact régulier avec la population associé à une posture de prévention-dissuasion, la Gendarmerie constituait, avant l'heure, le modèle de « police de proximité » que le gouvernement Jospin voudra développer, à partir de 1997, pour la Police nationale ».
Or c’est bien ce modèle que le nouveau Président de la République veut s’employer à démolir. Souvenons-nous de sa célèbre saillie lors d’une visite au commissariat de police de Toulouse : « La police n’est pas là pour organiser des tournois sportifs, mais pour arrêter des délinquants, vous n’êtes pas des travailleurs sociaux ».
Il ne s’agit donc pas comme veut le faire croire le gouvernement d’une réforme technique, mais d’une réforme politique.
L’heure est à la répression tous azimuts et à l’écoute des syndicats de police, qui souffrent de voir leurs collègues de la gendarmerie mieux formés, avoir de meilleurs résultats de police judiciaire et être mieux considérés par la population.
Si le statut militaire de la gendarmerie est pour le moment préservé, -quel policier voudrait aller en Afghanistan ou être disponible 24h/24 sans être payé en heures supplémentaires?-, les gendarmes sont désormais placés sous l’autorité du Ministre de l’Intérieur. Ils ont vu leurs zones de compétences se réduire au profit de la police d’agglomération, et leurs missions rognées, comme celles par exemple du renseignement. Pis, le GIGN, dont le savoir faire est reconnu dans le monde entier, voit son champ d’intervention singulièrement modifié au profit de la police et se trouve même menacé de disparition. Les transferts budgétaires sont opérés de la gendarmerie vers la police, et les unités de gendarmes démantelées en priorité, leur statut militaire leur interdisant de protester et/ou de se syndiquer.
Nous sommes donc bien face à une volonté de désintégration d’un modèle de politique sécuritaire, au profit d’une police à l’américaine.
Même si le Ministre de l’Intérieur a décidé de mettre en place des patrouilleurs, qui ne sont pas sans rappeler les méthodes de travail des gendarmes, l’objectif du gouvernement est clairement de faire progressivement disparaitre la gendarmerie.
L’heure n’est pas à l’aménagement du territoire, à la dissuasion de la délinquance, à la pédagogie et au dialogue entre forces de l’ordre et citoyens.
Elle n’est pas à la recherche de l’excellence au travail dans une préoccupation constante de l’éthique.
Elle n’est pas au respect d’autrui et à la volonté de préserver à tous prix la vie humaine (voir la différence de doctrine entre le RAID et le GIGN).
Elle n’est pas à la valorisation des réussites (dissolution du GSPR[1], menaces sur l’existence du GIGN et du laboratoire d’analyses scientifiques de la Gendarmerie Nationale).
Elle n’est pas à l’exercice réfléchi du maintien de l’ordre (dissolution des escadrons de gendarmerie mobile au profit des compagnies républicaines de sécurité).
Elle n’est pas à la coexistence d’une force de police employée dans les zones urbaines, avec une force de gendarmerie qui couvre le reste du territoire, avec des moyens matériels communs, mais une doctrine d’emploi différente, illustrée par leur rattachement à des ministères distincts.
Elle n’est pas ….
Elle est à la remise en cause des libertés publiques, comme le dénonce l’ancien Ministre de la défense de Nicolas Sarkozy, Hervé Morin, lequel ne s’est pourtant pas caractérisé par son combat pour la défense de la Gendarmerie.
A l’heure de la préparation de la Présidentielle, souhaitons que les candidats, lorsqu’ils seront appelés à se positionner sur les questions de sécurité, n’omettent pas cet aspect du débat, si important et pourtant largement ignoré par la population française.
Pour plus d’informations :
- L’article de Jean-Hugues Mattely : link
- Le forum « Gendarmes en colère » : link


[1] Groupe de Sécurité de la Présidence de la République, unité de la Gendarmerie Nationale chargée de la protection du Président de la République, dissoute par N. Sarkozy dès son arrivée au pouvoir.

Publié dans Gendarmerie

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A
<br /> <br /> Excellent billet ! Je souscris pleinement à ces propos.<br /> <br /> <br /> Une question me taraude. Nos candidats à la primaire socialiste vont-ils être appelés à se prononcer sur l'avenir de la gendarmerie, en cas de victoire de la gauche ? Le PS, au moins au Sénat,<br /> lui témoigne un grand attachement... Je pense aux interventions de Jean-Jacques Urvoas, notamment.<br /> <br /> <br /> Autrement dit, dans quelle mesure ce rattachement au ministère de l'intérieur est-il réversible ? <br /> <br /> <br /> <br />
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